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Champion de France para-escalade : sport de haut niveau et vie pro, c'est possible !

De retour de la Coupe du Monde en Autriche, Jean Cheminade, para-climber et Responsable Systèmes et Réseaux chez Poclain, nous partage son expérience et les liens étroits entre dépassement de soi, sport et vie professionnelle. Un parcours remarquable !
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Jean Cheminade,  Responsable Systèmes et Réseaux Poclain : 

  • Para-climber au niveau national et international,
  • Champion de France para-escalade 2024,
  • 4 sélections en équipe de France handi-escalade,
  • 1 participation au Championnat du Monde para-escalade 2012,
  • 3 participations à la Coupe du Monde para-escalade 2013, 2014, 2024.

Tu reviens tout juste du championnat du monde de para-escalade. Comment ça s'est passé ?

C'est la troisième coupe du monde à laquelle je participe. Après plus de 10 ans d'absence, j'ai dû passer par la commission médicale, avec la toute dernière mouture du règlement. Les médecins m'ont expliqué que mon handicap ne rentrait plus dans la catégorie des moyennement handicapés (RP2) et j'ai donc été reclassifié en RP3.

En sachant que la grande majorité des grimpeurs dans la catégorie RP3 sont handicapés d'une seule jambe, là où de mon côté, je suis handicapé des deux jambes et d'une partie de l'abdomen.

C'est donc un gros challenge qui m'est tombé sur la tête. J'ai terminé 11ème de ma catégorie, ce qui est un bon résultat étant donné mes adversaires et le type de grimpe attendu.

 

Jean Cheminade portant la flamme olympique
Jean Cheminade a eu l'honneur de porter la flamme olympique à Chantilly le 18 Juillet avant le début des Jeux Olympiques.

Quelles sont les différentes catégories en para-escalade?

Il y a trois grandes catégories : les déficients visuels, les handicapés moteurs (comme moi) et les amputés. Ensuite, chaque grande famille d'handicap a des sous-catégories.

Pour les "blind" (ndlr: les aveugles), il y a catégorie 1, 2 et 3 en sachant que 3 correspond au moins handicapé, et 1 au plus handicapé.

Pour les handicapés moteurs, les RP1 sont atteints aux 4 membres, RP2 en général à 2 membres et RP3, à un seul membre. Et enfin les amputés, il y a deux grandes sous-catégories, amputés jambes et amputés bras, après il y a 1, 2 et 3 selon où se trouve l'amputation.

La France a-t-elle déjà remporté une coupe du monde ?

La France détient un "petit" palmarès (sourire amusé). En 2012, on avait déjà un champion du monde "blind", un vice-champion du monde handicapé moteur. En amputé jambes, Lucie Jarrige est 5 fois championne du monde, Solenne Piret, amputée bras qui est 4 fois championne du monde et Aloïs Pottier aussi, sacré champion du monde pour la première fois l'année dernière. D'autres jeunes grimpeurs qui arrivent ont un bon potentiel.

Quelle est ton histoire avec l'escalade ?

J'ai commencé l'escalade à l'âge de 6 ans. Mes parents se sont rencontrés en faisant de la spéléologie. Ils m'ont fait découvrir leur passion et l'escalade par la même occasion. C'était amusant pour moi de changer de verticalité, puisque à cet âge, j'étais plutôt en fauteuil roulant ou avec des cannes.

Au lycée, après une grosse série d'opérations, j'ai commencé à être beaucoup plus autonome dans mes mouvements. J'ai pu participer pour la première fois au sport chaque mercredi avec tous les élèves valides. Après une pause pour mes études, j'ai repris à l'âge de 30 ans.

Jean Cheminade escalade un mur
Jean Cheminade lors du championnat régional des Hauts-de-France en 2024.

Qu'est-ce qui te plait le plus dans ce sport ?

Je dirais d'abord que l'escalade a une grande vertu thérapeutique ! Ce sport permet de muscler tout un tas de mes muscles qui ne fonctionnent pas spontanément chez moi : c'est un sport complet. C'est aussi un sport d'équipe, parce qu'on grimpe toujours avec un assureur, et ensuite on échange les rôles.

Tu pratiquais un autre sport avant l'escalade ?

Oui. J'ai pratiqué le cyclisme au niveau national en handisport. Ça m'a permis de muscler mes jambes car jusque l'âge de 9 ans, je me déplaçais soit avec des cannes, soit en fauteuil. Entre 9 ans et 14 ans, je me déplaçais avec appareillage et la moitié du temps avec des cannes. Suite aux opérations qui m'ont simplifiées le quotidien, à l'âge de 14 ans je n'avais plus que des appareils partiels sur les bottines et les corsets. Vers l'âge de 18 ans, mis à part pour des salons ou des concerts, le fauteuil n'était plus nécessaire. Et ça, j'estime que c'est vraiment grâce au vélo.

Tu peux nous en dire plus sur ton handicap ?

Je suis Spina-Bifida. C'est une malformation de naissance de la colonne vertébrale. Je suis né avec la colonne anormalement fermée. Pour réparer tout ça, il a fallu faire quelques "travaux" : environ 14 opérations entre mes 1 an et mes 15 ans, d'une lourde rééducation. 

La Coupe du Monde, c'était un objectif de longue date ?

 Ça fait deux ou trois ans que je me dis que, vu mon âge, c'est peut-être mon dernier Championnat de France. Cette année, j'ai vraiment décidé de mettre un maximum de chance de mon côté pour aller chercher le titre. Depuis septembre 2023, j'ai été très rigoureux dans mes entraînements. J'ai arrêté l'alcool, arrêté de grignoter les sucreries qu'on peut trouver au bureau. J'ai augmenté mon volume d'entraînements. En plus de la grimpe et du vélo chaque semaine, j'ai rajouté du renforcement musculaire deux fois par semaine. Cette préparation rigoureuse a porté ses fruits. 

Le soir même du championnat de France, l'entraîneur de l'équipe de France m'a dit "Bienvenue en équipe de France, rendez-vous à Innsbruck (Autriche) en juin". 

A partir de ce moment, j'ai commencé à faire le tour de tous les clubs de l'Oise pour me préparer et pour diversifier les ouvertures, les types de mur…

 

Podium coupe de France de para escalade

Est-ce que tu as des sponsors ?

Non. D'ailleurs je commence à en chercher, parce que j'ai besoin de me déplacer, que ce soit en Championnat de France ou en Championnat du Monde. J'ai aussi une consommation de chaussons qui est importante car je suis très peu précis sur mes pieds et ils ont tendance à rapper le mur. J'utilise une paire de chaussons tous les mois, là où quelqu'un de valide change ses chaussons une fois par an. Par ailleurs, demain si j'arrive à trouver un préparateur physique, ce sera aussi un facteur de coûts.

Comment tu concilies sport et travail ?

J'ai réussi à trouver un bon équilibre. Tous les midis, je marche une heure. Je m'entraîne le soir. A chaque fois qu'une compétition nécessite que je me déplace, en partant la veille, je réussi toujours à m'organiser avec mon chef et mon équipe pour assurer la continuité du service chez Poclain, en partant l'esprit libre à ma compétition.

Quand on participe à une compétition comme une Coupe du Monde, l'esprit ne doit pas être focalisé sur autre chose que sur la victoire, sinon on risque de ne pas y arriver face à concurrents focus sur l'objectif. Le dimanche précédent la Coupe du Monde en juin, qui s'est déroulée le lundi et le mardi, il y avait une très grosse maintenance informatique. Tout le travail de préparation que nous avons réalisé en amont (ndlr: avec l'équipe Poclain) a permis de faire en sorte que tout le monde y trouve son compte, y compris Poclain.

Tu as pu évoluer chez Poclain ?

L'élément le plus évolutif sur mon poste, c'est l'aspect management. Lorsque je suis arrivé chez Poclain, j'avais une petite expérience de management mais seulement d'alternants ou de jeunes diplômés. On m'a demandé de manager des personnes qui avaient déjà de l'expérience chez Poclain, et donc qui n'avaient pas les mêmes attentes que des personnes qui entrent sur le marché du travail. C'est un travail continu, qui évolue encore aujourd'hui pour pouvoir répondre aux attentes de ma direction, de mon équipe et de mes collègues.

Est-ce que ta pratique impacte ta façon de travailler ?

L'aspect "résoudre des problèmes" et "trouver des solutions", c'est au cœur de mon métier car on est sur une fonction support. Il y a une démarche psychologique comparable. Il y a aussi un aspect planification. Quand on se prépare pour un championnat, des mois à l'avance, un plan de préparation est nécessaire, comme au sein de mon équipe avec les différents projets. Tout ne se passe pas comme sur un long fleuve tranquille. On fait face aux difficultés qu'il faut gérer. Puis il faut savoir rebondir et passer à la difficulté suivante.

Tu peux nous parler un peu de ton équipe ?

Dans mon équipe, il y a deux ingénieurs expérimentés et un troisième membre, un peu plus junior sur les systèmes et réseaux, qui vient du Front Office. Nous sommes deux à avoir un bagage réseaux un peu plus important que les autres. Nous sommes deux également à avoir un bagage Microsoft assez complet. Un membre de l'équipe est assez fort côté réseaux et linux. Notre défi c'est d'accompagner chaque projet IT, en maintenant le niveau de sécurité voire en l'améliorant. Rien qu'avec les JO, nous avons de plus en plus d'attaques informatiques. Cette année, on passe 50% de notre temps à faire de la sécurité informatique. 

Au bureau, ça parle beaucoup sport ?

Rien qu'au sein de mon équipe nous sommes trois à faire de l'escalade. Nous sommes deux à faire beaucoup de vélo. Et Jordan vient de nous proposer de participer à un trail en novembre. Jérémy a fait de l'escalade. Luis court énormément. Donc oui, ça parle beaucoup sport, d'une façon générale et de sports pratiqués.

 

C'est quoi ton prochain objectif sportif ?

A très court terme, la prochaine Coupe du Monde handi-escalade aura lieu à Arco en Italie en septembre, où je compte bien aller chercher l'autre partie du classement. Avec l'équipe de France, à la fin de cette dernière étape de la saison, nous ferons le bilan pour savoir si j'arrête ou si je continue. Il n'y a pas que l'escalade dans la vie, le travail et la vie personnelle sont deux éléments importants. 

Un grand merci à Jean d'avoir répondu à nos questions.

C'est désormais officiel, sa discipline, la para-escalade intégrera les Jeux Olympiques de Los Angeles en 2028.